Joie des monopoles : les textos chambre-salon plus chers que ceux chambre-Mars

Le prix de transport de l’octet est plus élevé pour textoter votre frère ou sœur dans la chambre d’à côté que pour envoyer les mêmes messages sur Mars. Ce billet est le dernier d’une série visant à montrer pourquoi les fournisseurs d’accès à Internet et les opérateurs téléphoniques veulent tant contrôler le Réseau, et utiliseront toutes les ressources en leur possession pour empêcher son développement.

Focalisons-nous sur les textos. Lorsque nous avons relayé le rapport de l’OCDE selon lequel les opérateurs téléphoniques nous font payer 100 000 fois plus cher que nécessaire, un de nos lecteurs, Chris Monteiro, nous a fait remarqué qu’il était possible que le transport de données sur Terre coûte moins cher que le transport interplanétaire. Ça paraissait insensé. Mais calculons quand même pour voir.

Le coût de la mission Mars Global Surveyor était d’environ 200 millions de dollars américains pour le satellite et son lancement, et 20 millions de plus par an. Donc, environ 400 millions. La mission dura neuf ans, et a transmis à un débit moyen de 42 667 bits par seconde.

Mettons que le satellite ait transmis ses données jour et nuit avec le débit moyen donné, ce qui serait logique, car la NASA devait chercher à rentabiliser son satellite, et on avait 42 667 × 3600 × 24 × 365 × 9 / 8 / 1024 / 1024 / 1024 = 1410 Go de données pour 400 millions de dollars, soit environ 284 000 dollars américains par gigaoctet. Mettons 218 000 €/Go au taux de change actuel. Ce chiffre inclut le coût du lancement ainsi que les coûts des équipes de la NASA déjà un an avant que le satellite n’émette.

Prenons différents opérateurs français pour voir quel est le coût du Go de SMS en comparaison. Il suffit de diviser 1 410 × 1024 × 1024 × 1024 par 140, car un SMS fait 140 octets, et de multiplier le résultat, à savoir 10 814 114 100, par le prix du SMS. Pour référence, dès que vous payez plus de 218000/10814114100= 0,00002 €/SMS, vous payez déjà plus cher pour envoyer votre SMS à votre ami que pour l’envoyer au satellite en orbite autour de Mars.

Forfait de l’opérateur Mobicarte Orange Forfait RED de SFR Forfaits de Free
1410 Go vers la France 1 081 411 410 € 1 622 117 115 € 108 141 141 €
1410 Go vers l’Europe 3 027 951 948 € 3 244 234 230 € 108 141 141 €

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La situation est complètement folle, certains opérateurs vous facturant votre SMS jusqu’à 10 000 fois plus cher ce qu’il aurait fallu payer pour l’envoyer sur Mars, même quand cette évaluation du prix vers Mars inclut l’entretien d’une mission complète de la NASA pendant 10 ans !

On peut remarquer que la différence de prix entre Free et SFR est d’un à dix, et que le plus comique à la lecture des fiches tarifaires reste sans doute les tarifs vers l’étranger, où le SMS vers l’Allemagne coûte 28 à 30 centimes d’euros, ce qui fait un coût astronomique (Ohoh !) de 2,8 à 3 milliards pour 1410 Go, soit de 14 700 missions sur Mars pour communiquer avec nos voisins européens…

Il y a là une faille abyssale des instances de régulation du marché, qui devraient essayer de promouvoir une concurrence libre et non faussée, pas des grotesques oligopoles comme aujourd’hui. Cette concurrence amènerait les prix de vente à s’aligner sur les coûts de production.

Juste pour rigoler, calculons le coût d’un SMS s’il était facturé au prix du Go que paye le consommateur sur ses accès câblés, soit au maximum 25 centimes en moyenne. On peut arriver à mettre jusqu’à 7,67 millions de message dans un Gigaoctet, ce qui nous fait un coût de transmission de 33 nanocentimes le message. Certes les accès radios coûtent plus cher, mais pas de 10 ou 11 ordres de grandeur.

L’efficacité actuelle du marché des télécoms est donc proche du néant. Les opérateurs téléphoniques font des profits avoisinant les 5 000 000 000% à 50 000 000 000% sur les SMS que vous envoyez à vos amis dans la chambre d’à côté, et sont capables de se faire une marge de 100 000 000 000% sur les SMS que vous envoyez à vos amis d’Autriche. Soit, en français, des marges de cent milliards de pour-cents.

C’est une insulte à tous les clients, et une preuve irréfragable de la nécessité pour l’État de briser tout de suite les monopoles actuels qui étouffent le marché.

D’autant qu’il existe déjà des compagnies de la prochaine génération qui se feront un plaisir de tuer les anciens opérateurs en fournissant les mêmes services gratuitement. L’estonien Skype ou l’espagnol Fon peuvent offrir des services équivalents sinon meilleurs et en plus pour rien ou presque.

Il ne faut dès lors pas s’étonner que ces compagnies téléphoniques essayent par tous les moyens d’empêcher cet inévitable glissement dans le nouveau monde. Il n’y a pas de place dans ce monde pour des compagnies qui peuvent se permettre de faire des marges de cent mille milliards, qui verrouillent l’entrée sur leur marché, et empêchent ainsi le développement d’une multitude de nouvelles pratiques et de nouveaux services qui révolutionneraient notre société et nos industries.

À ce point là, de la part des autorités de régulation, ce n’est plus de la mauvaise régulation, c’est un carnage éhonté, de même que la réunion de Dubaï sur le contrôle d’Internet la semaine prochaine est scandaleuse pour tout esprit démocratique.

Précision : lorsque je dis que je voudrais un marché libre, j’entends par là un marché non-discriminatoire, où le coût d’entrée est faible, et où les prix de vente convergent vers les prix de production parce que la compétition fonctionne. Il ne s’agit pas de vouloir un marché sans règles, d’une part parce que cela n’existe pas sur Terre, d’autre part parce que les règles sont nécessaires pour empêcher la discrimination des acteurs. Le cas des télécoms est un bon exemple.

Rick Falkvinge

Rick is the founder of the first Pirate Party and a low-altitude motorcycle pilot. He lives on Alexanderplatz in Berlin, Germany, roasts his own coffee, and as of right now (2019-2020) is taking a little break.
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